Marché du retail : quelles attentes des enseignes nationales pour leurs nouveaux points de vente ?
En 2025, le marché du retail en France connaît un paradoxe : jamais les ventes en ligne n’ont été aussi importantes, mais jamais non plus les enseignes n’ont autant investi dans leurs points de vente physiques. Selon une étude Havas Commerce & CSA Consulting, 84 % des Français déclarent toujours préférer effectuer leurs achats en magasin, malgré la praticité du e-commerce.
Ce regain d’intérêt pour le commerce physique ne se traduit pas par un retour aux formats traditionnels : les enseignes repensent profondément l’expérience client, l’architecture et la localisation de leurs magasins. Du design intérieur à la gestion des flux, en passant par l’intégration d’outils numériques, les nouvelles implantations reflètent un double objectif : offrir une expérience différenciante et optimiser la rentabilité dans un contexte économique tendu.
Les enseignes nationales — qu’elles soient issues de l’habillement, de l’alimentaire, de la beauté ou encore de la restauration — adaptent ainsi leurs stratégies à des consommateurs exigeants, connectés et attentifs à l’impact environnemental de leurs achats. Cette évolution se lit dans les projets récents : magasins plus compacts et modulables, scénographies immersives, solutions omnicanales, ancrage territorial affirmé.
Dans ce paysage en mutation rapide, quelles sont précisément les attentes des enseignes pour leurs nouveaux points de vente ? Quels investissements jugent-elles prioritaires ? Et comment s’adaptent-elles aux nouvelles contraintes urbaines, réglementaires et environnementales ? C’est à ces questions que nous répondrons, en nous appuyant sur données récentes et cas concrets documentés.
Un retour affirmé du magasin physique… mais transformé
Malgré la progression continue du commerce en ligne, les magasins physiques restent au cœur des stratégies des enseignes nationales. Selon Havas Commerce & CSA Consulting, 84 % des Français préfèrent toujours acheter en magasin, invoquant la possibilité de voir, toucher et tester les produits avant l’achat, mais aussi le plaisir de flâner et de bénéficier de conseils humains.
Ce retour en force ne signifie pas pour autant que les points de vente d’aujourd’hui ressemblent à ceux d’hier. Les enseignes repensent leur format en profondeur :
Superficie réduite pour limiter les coûts immobiliers et énergétiques.
Agencement modulable permettant d’adapter rapidement l’offre ou de mettre en scène des collections éphémères.
Expérience immersive intégrant lumière, son, scénographie et dispositifs interactifs.
Le concept de phygital — la fusion entre physique et digital — est désormais central. Un exemple marquant est celui de H&M, qui a rénové ses magasins en France en intégrant des casiers pour retirer les commandes en ligne et des caisses automatiques. L’objectif : fluidifier le parcours client et optimiser la complémentarité entre ventes physiques et ventes digitales, qui représentent déjà 30 % du chiffre d’affaires de l’enseigne.
Cette transformation vise aussi à répondre à de nouvelles attentes sociétales : davantage de transparence sur l’origine des produits, intégration de matériaux durables dans les aménagements, et proposition de services annexes (ateliers, réparation, recyclage).
Enfin, le rôle du magasin dépasse désormais la simple transaction. Il devient un lieu de vie et de lien social, contribuant à l’animation urbaine et au dynamisme des centres-villes. Cette dimension est d’autant plus importante que certaines collectivités soutiennent financièrement l’implantation ou la rénovation de commerces stratégiques pour lutter contre la vacance commerciale.
Ainsi, loin de disparaître face au e-commerce, le magasin physique se réinvente pour devenir plus petit, plus agile et plus expérientiel, tout en restant un pilier de la relation client et un atout concurrentiel pour les enseignes nationales.
Nouveautés attendues dans les magasins physiques
L’ouverture d’un nouveau point de vente est aujourd’hui l’occasion, pour une enseigne nationale, de tester de nouvelles approches et d’intégrer les tendances émergentes du retail. Les attentes se concentrent autour de quatre axes majeurs : format, design et expérience, technologie, et ancrage local.
Les grandes surfaces traditionnelles cèdent progressivement la place à des espaces plus compacts, moins coûteux à exploiter, et capables de s’insérer dans des emplacements premium, y compris dans des zones urbaines denses. Cette tendance répond à la fois à la hausse des loyers commerciaux et à la volonté des enseignes d’être au plus près des consommateurs. La modularité devient essentielle : un même espace peut accueillir différents univers produits selon la saison ou l’actualité marketing, avec des aménagements faciles à déplacer.
Les enseignes investissent dans des expériences immersives qui stimulent les sens et prolongent le temps passé en magasin. Cela passe par un design intérieur soigné, une mise en lumière stratégique et parfois des dispositifs interactifs. L’objectif est double : se différencier de la concurrence et créer une expérience mémorable qui incite à revenir.
Exemple : certaines marques intègrent des zones d’essayage “connectées” où le client peut demander une autre taille ou couleur directement via un écran en cabine.
L’omnicanalité est désormais un impératif. Les enseignes cherchent à effacer les frontières entre achat en ligne et en magasin. L’exemple d’H&M, déjà évoqué, illustre cette tendance avec l’intégration de casiers de retrait pour commandes en ligne et de caisses automatiques (source).
Au Retail’s Big Show (NRF 2025), les innovations les plus remarquées concernaient l’IA pour personnaliser le parcours client, la gestion prédictive des stocks, et des solutions de paiement fluidifié pour réduire les files d’attente (source).
Les enseignes savent que leur légitimité passe aussi par une adaptation au contexte local. Cela peut se traduire par la mise en avant de produits régionaux, le recrutement local, ou des partenariats avec des acteurs associatifs. Sur le plan environnemental, les nouveaux points de vente intègrent souvent des matériaux durables, un éclairage basse consommation, et des solutions de tri ou de recyclage.
Franprix a annoncé un plan de rénovation de 500 magasins sur 1 100 en quatre ans, pour un investissement optimisé. Baptisé “Oxygène”, ce projet low cost vise à moderniser l’image des magasins tout en augmentant l’activité de 10 % (source). Le concept repose sur un mobilier modulable, une meilleure circulation et une optimisation des rayons frais.
En somme, les nouveaux points de vente sont pensés comme des espaces hybrides, alliant efficacité opérationnelle, innovation technologique et proximité humaine. Les enseignes misent sur cette combinaison pour fidéliser des consommateurs exigeants et volatils.
Technologies et parcours client optimisés
La technologie, en particulier l’intelligence artificielle (IA), est devenue un levier stratégique majeur pour les enseignes nationales lors de l’ouverture ou de la rénovation de nouveaux points de vente. L’enjeu est double : renforcer l’efficacité opérationnelle et enrichir l’expérience client.
Les analyses les plus récentes montrent que l’IA générative pourrait produire entre 240 et 390 milliards de dollars de valeur économique dans le retail, soit une amélioration potentielle de 1,2 à 1,9 point de marge (source). En intégrant également les apports de l’analytique traditionnelle, le secteur des biens de consommation pourrait réaliser jusqu’à 400 à 660 milliards de dollars de profits opérationnels supplémentaires par an (source).
D’après McKinsey, ces technologies se déploient dans plusieurs fonctions clés :
Management de catégorie (45–50 %) : optimisation des assortiments, prévisions, promotions ;
Supply chain (15–20 %) : gestion de la logistique, optimisation des commandes ;
Opérations en magasin et marketing (chacun 10–15 %) : personnalisation des offres, contenu digital dynamique ;
Fonctions support (5–10 %) : automatisation des tâches administratives et back-office.
Aujourd’hui, 68 % des acteurs du retail utilisent l’IA dans au moins une fonction opérationnelle, ce qui confirme une adoption assez généralisée dans le secteur.
L’IA contribue à un parcours plus fluide à travers :
Des paiements mobiles ou self-checkout optimisés ;
Des casiers connectés pour retirer des commandes en ligne ;
L’utilisation d’outils RFID ou d’applications pour géolocaliser les produits en magasin ou faciliter le passage en caisse.
En coulisses, l’IA améliore la gestion des stocks, minimise les ruptures, personnalise les recommandations, et réduit les coûts logistiques et les invendus.
Ancrage local, proximité et redéploiement stratégique
L’implantation de nouveaux points de vente ne répond plus uniquement à une logique de maillage géographique national. Les enseignes adoptent une approche plus fine, en intégrant l’ancrage local comme un levier stratégique, tant pour séduire les consommateurs que pour optimiser leur performance commerciale.
La tendance au retour vers des formats de proximité se confirme. Le groupe Casino, confronté à une restructuration majeure, a annoncé en 2024 un recentrage stratégique sur le commerce de proximité, avec un plan d’investissement de 1,2 milliard d’euros sur trois ans et des économies ciblées de 600 millions d’euros (source). Objectif : redevenir rentable dès 2026 et atteindre 15 milliards d’euros de volume d’affaires en 2028.
Cette orientation répond à une demande accrue pour les commerces accessibles à pied ou en vélo, avec une offre adaptée au rythme urbain : restauration rapide, produits du quotidien, services express.
Les enseignes nationales cherchent de plus en plus à se fondre dans le tissu local. Cela se traduit par :
La mise en avant de produits régionaux ou de terroir,
Des partenariats avec artisans et producteurs locaux,
L’intégration d’éléments architecturaux ou décoratifs reflétant la culture locale.
Ce type d’adaptation permet de créer un sentiment de proximité émotionnelle et de différencier l’enseigne de ses concurrents standardisés.
La création d’un nouveau point de vente passe souvent par la reconversion de locaux existants plutôt que par la construction neuve. Cela réduit les coûts, les délais et l’empreinte environnementale, tout en contribuant à la lutte contre la vacance commerciale.
Le projet Oxygène de Franprix illustre cette logique. L’enseigne prévoit de rénover 500 de ses 1 100 magasins en quatre ans, avec un budget optimisé. Le mobilier modulable, l’optimisation de la circulation et le recentrage sur les rayons frais visent à augmenter l’activité de 10 % tout en minimisant les investissements (source).
Certaines implantations bénéficient du soutien actif des municipalités ou des chambres de commerce, notamment dans les zones où la vacance commerciale menace l’attractivité. Ces partenariats peuvent prendre la forme :
d’aides financières ou fiscales,
de baux avantageux,
ou d’actions conjointes de communication.
Le choix d’emplacements urbains ou semi-urbains proches des zones résidentielles limite l’usage de la voiture et s’inscrit dans les politiques de mobilité douce. Les enseignes capitalisent sur cet argument écologique, de plus en plus décisif dans le choix des consommateurs.
Dynamique d’ouvertures en 2025
L’année 2025 s’annonce comme une période active pour le développement physique des enseignes nationales, malgré un contexte économique marqué par l’inflation et des arbitrages budgétaires serrés.
Selon les données publiées par A Point Com Retail, près de 2 000 nouvelles ouvertures de commerces sont prévues en France d’ici la fin de l’année (source). La répartition sectorielle met en lumière des tendances fortes :
Restauration : 28 % des ouvertures prévues. Ce dynamisme s’explique par la demande croissante pour les offres de restauration rapide premium, les concepts hybrides (café + coworking, boulangerie + snacking) et l’implantation en centre-ville.
Alimentaire : environ 20 % des ouvertures, notamment sur les formats de proximité (supérettes, magasins bio de quartier, enseignes spécialisées dans le frais).
Santé et beauté : part importante du développement, portée par les enseignes de parfumerie, cosmétique, parapharmacie et centres de soins esthétiques.
Sportswear et équipement sportif : en progression, porté par l’essor du sport urbain et de la mode athleisure.
Mode : seulement 3 % des nouvelles ouvertures, ce qui reflète les difficultés structurelles rencontrées par le secteur textile, accentuées par la concurrence du e-commerce et la baisse de fréquentation des magasins de prêt-à-porter.
Les ouvertures privilégient des surfaces optimisées, souvent inférieures à 400 m², permettant une implantation dans des zones à fort passage, tout en limitant les charges. Les retail parks et les centres-villes restent les cibles principales, mais les zones périurbaines dynamiques attirent également les enseignes grâce à des loyers plus accessibles.
Face aux incertitudes économiques, les enseignes optent pour une expansion raisonnée, privilégiant :
les emplacements premium,
la proximité avec la clientèle cible,
et des concepts modulables pouvant s’adapter à l’évolution de la demande locale.
Cette dynamique d’ouverture entraîne une concurrence accrue pour les meilleurs emplacements. Les bailleurs sont ainsi en position de force dans certaines zones, ce qui peut renchérir les coûts d’installation, en particulier dans les grandes métropoles.
En résumé, l’année 2025 verra un renouvellement significatif du paysage commercial français, avec un accent clair sur la restauration, l’alimentaire et les services à forte valeur ajoutée, au détriment de la mode traditionnelle.
Enjeux et perspectives pour les enseignes
Ouvrir un nouveau point de vente en 2025 ne se résume plus à trouver un emplacement et aménager un local. Les enseignes nationales doivent composer avec une série d’enjeux complexes, mêlant contraintes économiques, attentes sociétales et innovations technologiques.
Dans un contexte d’inflation persistante, la rentabilité des magasins est une priorité absolue. Les loyers commerciaux, les coûts énergétiques et les charges de personnel pèsent lourdement sur les bilans. Les enseignes cherchent donc à optimiser chaque mètre carré, à automatiser certaines tâches et à mutualiser les flux logistiques. Les formats compacts et modulables permettent de réduire les coûts fixes tout en maintenant une offre attractive.
Avec la multiplication des canaux d’achat, la fidélisation passe par la différenciation. Cela implique de proposer une expérience unique en magasin : services personnalisés, animations, ateliers, ou intégration d’outils digitaux interactifs. Les enseignes doivent se démarquer pour inciter les clients à se déplacer plutôt qu’à commander en ligne.
Les consommateurs sont de plus en plus attentifs au rapport qualité-prix. Les enseignes doivent ajuster leurs assortiments, proposer des formats économiques et communiquer clairement sur la valeur ajoutée de leurs produits. Les programmes de fidélité intelligents, basés sur l’IA, permettent d’offrir des promotions ciblées sans rogner excessivement sur les marges.
La pression réglementaire et la demande des consommateurs poussent les enseignes à intégrer des pratiques responsables : matériaux recyclés, réduction des emballages, circuits courts, gestion optimisée des déchets. Ces engagements ne sont plus un atout différenciant, mais un prérequis pour rester crédible et attractif.
Le modèle purement transactionnel laisse place à une logique d’écosystème : le magasin devient un point de contact parmi d’autres, connecté à une offre digitale, des services complémentaires et parfois même des activités communautaires (événements, espaces de coworking, ateliers). Les enseignes qui réussiront seront celles capables de fluidifier le passage d’un canal à l’autre tout en préservant une expérience cohérente et mémorable.
En résumé, les perspectives pour les enseignes en 2025 reposent sur leur capacité à allier rentabilité, innovation, ancrage local et engagement durable. Celles qui sauront s’adapter rapidement à l’évolution des comportements de consommation auront une longueur d’avance dans un marché du retail en pleine recomposition.
Conclusion
En 2025, le marché du retail français se trouve à un tournant stratégique. Loin d’être supplanté par le e-commerce, le magasin physique prouve sa résilience et sa capacité à se réinventer. Les enseignes nationales, conscientes que 84 % des consommateurs préfèrent toujours acheter en magasin (source), réinvestissent dans des formats plus compacts, plus agiles et résolument orientés vers l’expérience client.
L’intégration des nouvelles technologies — IA générative, gestion prédictive des stocks, paiement sans friction — redéfinit les standards du parcours client et permet d’optimiser les opérations. En parallèle, l’ancrage local et la proximité deviennent des leviers différenciants, renforcés par des partenariats avec les collectivités et des aménagements respectueux de l’environnement.
La dynamique de près de 2 000 nouvelles ouvertures annoncée pour l’année témoigne d’une confiance mesurée dans le potentiel du commerce physique, à condition de cibler les bons emplacements et les bons formats. Les secteurs porteurs — restauration, alimentaire, santé/beauté — contrastent avec les difficultés persistantes du prêt-à-porter traditionnel.
Pour rester compétitives, les enseignes devront conjuguer rentabilité, innovation et responsabilité, tout en cultivant une expérience de marque forte et cohérente sur tous les canaux. Les gagnants seront ceux capables d’adopter une approche agile, de capter les signaux faibles du marché et de transformer chaque point de vente en un véritable lieu de vie et de relation avec le consommateur.